31/08/23

Eta Carinae fait disparaître son Homonculus


Eta Carinae fascine les astronomes depuis le début du 19ème siècle. Sujette à de multiples épisodes de changements brutaux de luminosité au 19ème et au 20ème siècle, cette étoile double massive en fin de vie est aujourd’hui entourée d’une épaisse nébuleuse de poussière bipolaire qui a été nommée l’Homonculus en 1950. Aujourd’hui, une équipe d’astrophysiciens étudie l’Homonculus avec des données spectroscopiques du télescope Hubble pour comprendre l’évolution récente de Eta Carinae. Ils publient leur étude dans The Astrophysical Journal.

Eta Carinae (η Car) a attiré l'attention des observateurs de l’hémisphère sud au début du dix-neuvième siècle car sa magnitude visuelle changeait fréquemment. Dans les années 1840, sa magnitude visuelle a fortement augmenté et elle rivalisait alors avec Sirius, avant de quasi disparaître à l'œil nu quelques années plus tard, puis de réapparaître légèrement dans les années 1890 et de s'éteindre à nouveau. Dans la période 1939-1945,  η Car a montré un saut de 1,2 mag dans sa luminosité visuelle mais sans augmentation de l'étoile centrale. Par la suite, la luminosité a progressé à un rythme plus lent jusqu'à aujourd'hui où elle a de nouveau atteint une magnitude visuelle d'environ 4,4. 

Comme η Car est située relativement près de nous (à 2300 pc), les éjectas sont résolvables, ce qui permet d'étudier non seulement la source centrale, les deux étoiles massives, mais aussi l'influence des matériaux rejetés au cours de l'histoire. Les changements apparents de η Car et de ses éjectas en expansion en font un véritable laboratoire astrophysique qui évolue à l'échelle humaine, permettant de nouvelles études sur l'évolution des étoiles massives en fin de vie.

On sait aujourd’hui que η Car a éjecté au moins deux coquilles de matière à partir des archives historiques. Des images photographiques des années 1940 ont révélé une structure étendue environnante, que Gaviola a nommée l'"Homonculus" en 1950. L'imagerie du télescope spatial Hubble au milieu des années 1990, a permis de préciser que l'Homonculus était une structure bipolaire poussiéreuse de 10'' × 20'' avec une jupe équatoriale (Morse et al. 1998). La spectro-imagerie  a ensuite permis d'identifier une structure interne, le Petit Homonculus, comme une structure coalignée, elle aussi bipolaire, s’étendant sur 4'' × 4'', et ionisée (Ishibashi et al. 2003). L'Homonculus, par sa vitesse et son mouvement propre, est associé à la Grande Éruption des années 1840 (Smith 2017) et le Petit Homonculus est associé à la Petite Éruption des années 1890 (Ishibashi et al. 2003).

η Car est une binaire massive : η Car-A  a une masse supérieure à 100 M (c'est l'exemple le plus proche connu d'une étoile très massive), et η Car-B a une masse comprise entre 30 et 50 M. Damineli et al. (1997) ont utilisé des observations spectroscopiques, corrélées avec la courbe de lumière photométrique dans le proche infrarouge, pour découvrir la période orbitale de 5,5 ans de η Car. Les spectres obtenus par RXTE (Rossi X-ray Timing Explorer) analysés par Ishibashi et al. en 1999 ont ensuite montré que la vitesse du vent de l'étoile compagne (B) était au moins un facteur 3 plus élevé que la vitesse du vent de l'étoile primaire (A), tandis que la comparaison des spectres de rayons X de Chandra avec les modèles de collision vent-vent de Pittard & Corcoran (2002) a trouvé des valeurs de pertes de masses pour les deux étoiles de respectivement 2,5 10-4 et 10-5 masses solaires par an, avec des vitesses de vent d'environ 700 km.s-1 et 3000 km.s-1.


Les observations précédentes du télescope spatial Hubble avec son spectrographe imageur ont identifié de nombreuses caractéristiques d'absorption dans le spectre stellaire et dans les spectres nébulaires adjacents, le long de la ligne de visée. Et ces caractéristiques d'absorption sont devenues temporairement plus fortes lorsque le champ de rayonnement ionisant dans l'ultraviolet lointain s'est retrouvé réduit par le passage au périastre de l'étoile secondaire (au plus près de l'étoile primaire). Par la suite, la dissipation d'une structure poussiéreuse dans la ligne de visée a conduit à une augmentation à long terme de la luminosité apparente de η Car, ainsi qu'à une augmentation du rayonnement ultraviolet ionisant, et à la disparition de l'absorption de multiples coquilles qui s'étendent à travers le lobe d'avant-plan de l'Homonculus.

Damineli et al. ont noté en 2019 que même si le flux de η Car aux longueurs d'onde visibles a augmenté d'un ordre de grandeur, la contribution de la lumière des étoiles diffusée par l'Homonculus est restée constante, ce qui démontrait que les récents changements de η Car étaient apparemment dus à un occulteur poussiéreux qui s'est dissipé et/ou s'est éloigné de la ligne de vue.

Pour essayer de mieux comprendre ce qui s'est passé récemment dans l'Homonculus, Theodore Gull (Goddard Space Flight Center/NASA) et ses collaborateurs ont exploité les données du télescope Hubble, couplées à des observations infrarouges et radio déjà publiées. Ils ont cherché à localiser cette structure poussiéreuse intermédiaire. A partir des spectres indiquant la vitesse de la poussière et du gaz, les astrophysiciens trouvent que l'occulteur se trouve aujourd'hui à environ 1000 UA devant η Car. Gull et ses collaborateurs démontrent surtout que les multiples coquilles du grand Homonculus et du Petit Homonculus ont changé d'état d'ionisation au cours des deux dernières décennies. Selon eux, c'est le résultat direct de l’augmentation décuplée du rayonnement UV lointain qui avait été observée en 2021 et 2022. Mais cette augmentation du flux n'est pas causée par une évolution de l'une des deux étoiles massives, elle est causée par le nuage occulteur qui est en train de se dissiper sous nos yeux. Comme l'ont noté Mehner et al. (2019), toutes les preuves indiquent un flux stable de la binaire massive au cours du dernier demi-siècle. L'augmentation apparente du flux UV, due à la dissipation de l'extinction dans notre ligne de visée, a conduit à une multiplication par dix du flux UV. Et cette augmentation est ce qui a entraîné une ionisation plus élevée des coquilles nébuleuses dans le lobe de l'Homonculus au premier plan, et donc la destruction de la molécule de dihydrogène et l'ionisation d'atomes neutres. Les données de Hubble avec les études publiées dans le visible, dans l'infrarouge et la radio conduit les chercheurs à estimer que l'occulteur devant la binaire serait un amas étendu de nature similaire aux amas de Weigelt B, C et D et aux amas qui sont observés dans la nébuleuse du Papillon. 

Plus de rayonnement UV ionisant atteint désormais tout l’Homonculus. Cette étude, limitée aux absorptions de raies de η Car et la lumière des étoiles diffusée par la nébuleuse, s'est concentrée sur les changements dans la ligne de visée de η Car et sur une zone relativement petite entourant η Car. Des changements se produisent évidemment dans tout l'Homonculus à mesure que le rayonnement UV ronge la poussière et les molécules ainsi que l'expansion continue. Gull et ses collaborateurs précisent qu'à mesure que l'Homonculus continue à se développer, la plupart des poussières contenues dedans sont susceptibles d'être modifiées et/ou détruites. Avec la destruction de la poussière, la lumière diffusée qui trace actuellement la structure spatiale de l'Homonculus disparaîtra progressivement. À mesure que les éjectas se diluent de plus en plus, ils se mélangeront au gaz interstellaire, actuellement à des distances beaucoup plus grandes en raison des vents précédents de η Car le chassant. L'Homonculus, lorsque la poussière sera détruite et que les gaz associés seront tous ionisés, avec l'expansion continue de la coquille, deviendra alors presque transparent, comme cela s'est probablement produit avec les éjectas des vents d'autres binaires massives. 

η Car et ses éjectas, déjà connus comme un super laboratoire d'astrophysique, continueront à fournir un aperçu de l'évolution rapide des éjectas d'étoiles massives, au fur et à mesure des observations dans les années et décennies à venir. Le prochain périastre doit avoir lieu en 2025. L'accès au télescope spatial Hubble et son oeil UV sera cruciale pour la surveillance des changements qui interviendront, des observations essentielles pour confirmer les changements qui ont été observés lors du passage au précédent périastre. Mais des études dans toutes les autres longueurs d'ondes sont aussi nécessaires, depuis les infra-rouges jusqu'aux ondes radio. Et parallèlement, la modélisation du système binaire massif, des interactions de ses vents et de son rayonnement sur les éjectas en expansion reste nécessaire, car on ne sait pas encore tout sur ces étoiles proches de l'explosion. 

Source

Eta Carinae: The Dissipating Occulter Is an Extended Structure

Theodore R. Gull et al.

The Astrophysical Journal, Volume 954, Number 1 (25 august 2023)

https://doi.org/ 10.3847/1538-4357/acdcf9


Illustrations

1. Image composite de Eta Carinae, en rayons X, UV et visible par Chandra et Hubble (X-ray: NASA/CXC; Ultraviolet/Optical: NASA/STScI; Combined Image: NASA/ESA/N. Smith (University of Arizona), J. Morse (BoldlyGo Institute) and A. Pagan)

2. Schéma de la structure interne de l'Homoncule dans la ligne de visée (Gull et al.)

3. Theodore Gull (NASA)

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