lundi 21 août 2023

Observation d'une étoile progénitrice de magnétar


Une équipe d'astrophysiciens vient de mettre le doigt sur une étoile pas comme les autres : elle a toutes les propriétés pour former un magnétar lorsqu'elle explosera bientôt en supernova. C'est la première fois que l'on trouve une étoile potentiellement progénitrice de magnétar. L'étude est publiée dans Science.

C'est à l'aide de données spectropolarimétriques recueillies par le télescope Canada-France-Hawai et d'autres télescopes plus petits que Tomer Shenar (université d'Amsterdam), et ses collaborateurs ont identifié l'existence d'un puissant champ magnétique dans l'étoile de Wolf-Rayet nommée HD 45166. HD 45166 est située à environ 3 000 années-lumière dans la constellation de la Licorne (Monoceros) et vit en couple avec une compagne. Ce type d'étoile est constituée par le noyau d'hélium d'une étoile massive en fin de vie qui a perdu toutes ses couches externes d'hydrogène. Mais la masse de HD 45166 est suffisamment élevée pour que l'explosion en supernova qui devrait se produire d'ici quelques millions d'années produise une étoile à neutrons, et le champ magnétique que Shenar et son équipe ont mesuré est suffisamment puissant pour générer non pas un simple pulsar, mais un magnétar lors de l'effondrement gravitationnel du cœur de l'étoile. La valeur de champ qu'ils déduisent à partir de leurs observations est de 43 kiloGauss, un record pour une étoile massive. 

Pour trouver cette valeur de champ magnétique, les astrophysiciens analysent la polarisation des spectres liés à l'étoile de Wolf-Rayet (et non de sa compagne). Ils ont détecté une forte polarisation circulaire dans la majorité des raies du spectre et ils ont également détecté le dédoublement magnétique (ce qu'on appelle le dédoublement Zeeman) de deux raies spectrales de l'oxygène qui se forment à l'intérieur ou à proximité de la surface stellaire. La valeur du champ magnétique est calculée à partir de la séparation Zeeman de ces raies, menant à 43,0 ± 2,5 kG. Shenar et ses collaborateurs notent que le rapport entre le champ longitudinal et le module du champ (environ 1/3) est cohérent avec un champ magnétique dipolaire vu près du pôle magnétique. Pour comparaison, pour le Soleil, la valeur maximale de son champ magnétique qui a été mesurée était de 6,25 kG (0,625 T), au niveau de taches solaires, là où il est le plus intense.

Dans quelques millions d'années, HD 45166 explosera en supernova très brillante, mais pas particulièrement énergétique. Au cours l'explosion, le coeur se contractera, emprisonnant et concentrant les lignes de champ magnétique déjà très fort de l'étoile. Lors de l'effondrement du coeur, la conservation du flux magnétique entraîne en effet une augmentation du champ magnétique à la surface. Avec un rayon stellaire aujourd'hui de 0,88 ± 0,16 rayon solaire, calculé par la relation de Stefan-Boltzmann, avec un champ magnétique de 43 kG, et en supposant un rayon final de 12 km pour l'étoile à neutrons, les chercheurs calculent que le champ magnétique final de l'étoile à neutrons sera de 1,11 ± 0,42 1014 G, ce qui est dans la gamme des magnétars (B > 1014 G). On estime aujourd'hui qu'environ 10 % des jeunes étoiles à neutrons ont un champ magnétique supérieur à 1014 Gauss et sont donc classées comme des magnétars. 
Mais tous les magnétars connus de la Voie Lactée sont isolés, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas de compagne binaire, a contrario de HD 45166. Shenar et ses collaborateurs s'attendent néanmoins à ce que le résultat de la supernova soit un magnétar qui aura subi une impulsion qui sera suffisamment forte pour briser le couple binaire, étant donné la grande séparation orbitale actuelle du couple, laissant alors le magnétar seul et isolé, mais avec une belle vitesse...
Et à partir de la période de rotation intrinsèque estimée à 125 jours pour l'étoile de Wolf Rayet et de son rayon qui est estimé à 0,3 rayon solaire, selon les chercheurs, la conservation du moment cinétique implique que le magnétar, à sa formation immédiatement après l'effondrement du coeur, aura une période de rotation inférieure à 40 ms (soit 25 tours par seconde). Cette période de rotation est similaire à la période du célèbre pulsar du Crabe (33 ms), qui est une étoile à neutrons formée il y a 970 ans. Selon les chercheurs, un tel spin ne devrait pas fournir suffisamment d'énergie pour alimenter une supernova superlumineuse ou un sursaut gamma.

Il faut rappeler que l'origine des magnétars est toujours débattue. Un scénario de formation invoque des champs magnétiques fossiles enracinés dans le noyau stellaire massif avant l'effondrement gravitationnel de la supernova. Environ 7 à 10% des étoiles massives de la séquence principale ont des champs magnétiques de surface puissants (de plusieurs kG) et à grande échelle. Ces étoiles pourraient donc être les progénitrices des magnétars, Cependant, de tels champs magnétiques n'ont jamais été détectés dans les étoiles massives en fin de vie. Des étoiles à hélium de faible masse fortement magnétiques ont en revanche déjà été observées, mais pas d'étoiles magnétiques massives à hélium (c'est-à-dire dépassant la limite de masse de Chandrasekhar, 1,4 masses solaires).

En étudiant le mouvement orbital du couple, les chercheurs ont pu faire des estimations précises de la masse de HD 45166 : 3,38 masses solaires pour la compagne et 2,03 masses solaires pour l'étoile d'hélium de Wolf Rayet magnétique, donc bien au dessus de la masse requise pour former une étoile à neutrons. 

En cherchant comment l'étoile de Wolf-Rayet s'est formée,  Shenar et ses collaborateurs en arrivent à la conclusion qu'elle n'a pas pu se former directement par le dépouillement d'une étoile massive. En effet, pour produire un coeur dénudé de 2 M, l'étoile progénitrice aurait dû avoir une masse initiale d'environ 10 M☉. Or les modèles d'évolution ne prédisent pas que les étoiles de cette masse se dépouillent toutes seules, et la compagne est trop éloignée pour que des interactions binaires aient pu la dépouiller. De plus, la durée de vie totale d'une étoile de 10 M serait d'environ 30 Mégannées, bien en dessous de l'âge dérivé de la compagne (105 ± 35 mégannées).
Les chercheurs proposent donc que, contrairement à d'autres étoiles à hélium qui évoluent à partir d'une supergéante rouge, cette étoile particulière a probablement été créée par la fusion d'une paire d'étoiles à hélium de masse intermédiaire

Les fusions stellaires ont été proposées dans des études antérieures comme origine potentielle des étoiles magnétiques, et des champs magnétiques puissants ont déjà été identifiés dans des étoiles à hélium de faible masse et ont été suggérés comme provenant d'événements de fusion entre deux naines blanches. Mais pour produire une étoile à hélium de 2 M par fusion de naines blanches, il faudrait que la fusion ait impliqué des naines blanches CO ou ONe rares et massives, et les modèles prédisent qu'un tel produit de fusion devrait soit exploser immédiatement en supernova, soit exploser après une courte durée de vie d'environ 10 000 ans, ce qui implique que l'observation d'un tel produit stellaire après la fusion est peu probable.
Shenar et ses collaborateurs proposent donc non pas la fusion de deux naines blanches mais la fusion de deux étoiles à hélium de masse intermédiaire. 

Les chercheurs ont construit un modèle évolutif de ce scénario en utilisant le code d'évolution stellaire MESA (Modules for Experiments in Stellar Astrophysics). Le système démarre dans une configuration triple avec une binaire interne serrée et une tertiaire distante représentant la compagne vue aujourd'hui Dans ce modèle, l'étoile primaire (la plus massive) de la binaire interne s'est dilatée et a interagi avec sa compagne proche, perdant ainsi ses couches externes et devenant une étoile dépouillée, tandis que la compagne a accrété de la matière et s'est "rajeunie" avec de l'hydrogène. Plus tard, l'étoile secondaire s'est à son tour dilatée, conduisant à un transfert de masse instable. Ce processus conduit à la formation d'une enveloppe gazeuse autour des deux étoiles qui spiralent l'une vers l'autre (l'évolution classique d'une enveloppe commune). Cette phase se termine par la fusion des deux noyaux d'hélium en une étoile à hélium de 2 M☉ magnétisée, tandis que la majeure partie de l'enveloppe d'hydrogène est éjectée. L'étoile tertiaire distante du modèle n'a pas d'impact sur l'issue finale de la binaire interne. Le scénario proposé ici est quantitativement et qualitativement cohérent avec les propriétés observées du système HD 45166. Le modèle MESA reproduit les masses des deux composantes et l'âge du système. La fusion stellaire permet bien d'expliquer l'émergence d'un champ magnétique dans la composante Wolf-Rayet, et le champ magnétique fournit une explication pour la présence de raies d'émission dédoublées dans le spectre d'une étoile à hélium de 2 M

Sans la présence de la troisième étoile (la compagne lointaine actuelle), les astronomes n'auraient jamais pu déterminer précisément la masse de l'étoile de Wolf-Rayet ni contraindre son âge. Ces conditions sont rarement rencontrées dans des objets estimés être des produits de fusions stellaires. 

On pensait auparavant que les magnétars devaient forcément provenir des étoiles les plus massives, mais les observations de Shenar et ses collaborateurs montrent que finalement, des étoiles beaucoup moins massives peuvent aussi produire un magnétar, si les conditions sont réunies. Leur scénario très spécifique soulève maintenant la question de savoir combien de magnétars proviennent de systèmes similaires et combien proviennent d'autres types de systèmes. 

Etant donné la proximité de HD 45166 par rapport à la Terre (1 kiloparsec), Tomer Shenar et ses collaborateurs estiment que  d'autres étoiles magnétiques massives à hélium ont probablement déjà été identifiées spectroscopiquement comme des étoiles de Wolf-Rayet mais n'ont pas été reconnues comme étant magnétiques... Avis aux chasseurs de progénitrices de magnétars !

Source

A massive helium star with a sufficiently strong magnetic field to form a magnetar
Tomer Shenar et al.
Science Vol 381, Issue 6659 (17 Aug 2023)
1. Vue d'artiste de HD 45166 (Fabian Bodensteiner)
2. Exemples de spectres mesurés de HD 45166 (Tomer Shenar et al.)
3. Tomer Shenar

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