James Healy et Carlos Lousto (Rochester Institute of Technology) ont produit 1381 simulations numériques de fusions de trous noirs, en considérant des trous noirs de masse égale, avec des spins (axes de rotation) opposés, pointant le long de leur plan orbital, qui est la configuration de base pouvant mener aux fusions les plus énergétiques, et induisant un recul du trou noir résultant maximal. Ils ont ensuite joué sur plusieurs paramètres comme l’orientation des axes de rotation, le paramètre d’impact entre les deux trous noirs, l’impulsion linéaire initiale, et la vitesse de rotation intrinsèque des trous noirs. Ce paramètre de rotation pour un trou noir est exprimé en fonction de la valeur maximale atteignable, qui dépend du moment cinétique du trou noir. Il varie entre 0 (trou noir sans rotation) et 1 (rotation maximale). Healy et Lousto ont simulé des valeurs du paramètre de rotation a suivantes : 0,4, 0,7, 0,8, 0,85, et 0,9 et ont extrapolé ensuite tous leurs résultats pour la valeur a=1.
Depuis la première modélisation de grands reculs par Campanelli et al. en 2007, il était clair que les spins des trous noirs jouaient un rôle crucial dans le fait que leur résidu de fusion atteignait une vitesse de plusieurs milliers de kilomètres par seconde. En 2011, Lousto et al. avaient trouvé une configuration qui avait une vitesse de recul proche de 5000 km/s. Cette configuration combine des spins opposés qui maximisent l'asymétrie avec l'effet d' « accrochage » qui maximise le rayonnement gravitationnel. C’est le rayonnement gravitationnel asymétrique qui est à l’origine de la forte impulsion donnée au trou noir résultant dans une direction particulière, pouvant mener à des très grandes vitesses.
Toutes ces configurations supposent des excentricités négligeables au moment de la fusion, lorsque la majeure partie du rayonnement asymétrique a lieu. Bien qu'il s'agisse du scénario astrophysique le plus plausible, de nouvelles observations d'ondes gravitationnelles montrent la possibilité d'une excentricité résiduelle importante dans certains événements.
Dans cette étude, Healy et Lousto résolvent directement les équations de champ de la relativité générale avec des superordinateurs, en se concentrant sur le calcul du recul gravitationnel maximal réalisable lors de collisions rasantes à haute énergie de trous noirs binaires, où l'orientation et la magnitude du spin des trous noirs jouent un rôle crucial.
Les deux physiciens ont tout d’abord regardé quelle était la dépendance de la vitesse maximale résultante à l’impulsion initiale du système et au paramètre d’impact, pour un spin fixé (en amplitude et orientation). Ils trouvent qu’il existe une valeur maximale de la vitesse résiduelle qui est obtenue pour un paramètre d’impact b=2,38 et une impulsion ץv=1,1. En dessous d'un paramètre d'impact critique b=2,38, la vitesse maximale est toujours plus faible et au-dessus aussi.
Ils font ensuite varier l'orientation des spins (pointant toujours dans le plan orbital) d'un angle φ par rapport à la ligne reliant les deux trous noirs. Cela leur permet alors de modéliser la dépendance de la vitesse de recul comme une fonction sinusoïdale en φ. En pratique, il faut environ sept simulations pour ajuster cette dépendance et déterminer l'amplitude de la courbe conduisant au recul maximal pour une configuration donnée. La valeur maximale est obtenue pour φ=50° et la valeur minimale pour φ=230°.
En regardant ensuite l’évolution de la vitesse maximale atteinte en fonction de l’amplitude du spin (le facteur de rotation des deux trous noirs), et du paramètre d’impact pour l’orientation φ qui donne la valeur maximale (c’est à dire 50°), Healy et Lousto trouvent que, quelle que soit l’amplitude du spin, le maximum de vitesse est toujours obtenu pour le même paramètre d’impact b=2,38. Et pour cette valeur du paramètre d’impact, la relation entre l’amplitude du spin a et la valeur de la vitesse maximale de recul du trou noir résultant est une relation tout à fait linéaire (croissante).
Ainsi, à partir des 5 points qu’ils ont calculés, pour des spins allant de 0,4 à 0,9, les chercheurs peuvent déterminer la valeur de la vitesse maximale que peut atteindre le trou noir résultant d’une fusion de deux trous noirs de spin maximal. Elle vaut : 28 562 ± 342 km.s-1.
Vous avez bien lu (entendu) : James Healy et Carlos Lousto viennent de démontrer que dans les pires conditions de rencontre de deux trous noirs de masse égale et de spin maximal mais opposés, le trou noir résultant de la fusion pourra avoir une vitesse de recul de presque 10% de la vitesse de la lumière ! (9,5% pour être exact). Et pour un spin très moyen de 0,4 pour les deux trous noirs initiaux, la vitesse maximale du trou noir résultant atteint déjà 12 133 ± 189 km.s-1, soit 4% de la vitesse de la lumière…
Non seulement la notion de trou noir errant dans le milieu interstellaire ou intergalactique est déjà un peu effrayante, mais on sait désormais que ces trucs peuvent se déplacer à des vitesses sans commune mesure pour des objets de cette taille, ce qui n’arrange rien à notre frayeur face au silence éternel de ces espaces infinis …
Source
Ultimate Black Hole Recoil: What is the Maximum High-Energy Collision Kick?
James Healy and Carlos O. Lousto
Physical Review Letters 131, 071401 (18 august 2023)
https://doi.org/10.1103/PhysRevLett.131.071401
Illustrations
1. Simulation de l'image d'un couple de trous noirs proches de la fusion (STX)
2. Schéma des paramètres de la collision rasante entre deux trous noirs (James Healy and Carlos O. Lousto)
3. James Healy (Rochester Institute of Technology)
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