vendredi 11 août 2023

Découverte d'une seconde source radio de type magnétar à très longue période


Le 26 janvier 2022, une équipe australienne publiait la découverte d'une source radio transitoire très atypique, qui ressemblait à un pulsar ou un magnétar mais avec une période ultra-longue de 18 minutes. L'équipe a poursuivi ses recherches d'objets similaires et ils viennent de trouver un second specimen du même genre, avec une période encore plus longue de 21 minutes qui produit des bouffées d'ondes radio qui durent jusqu'à 5 minutes à chaque fois. Comme pour la première découverte, les chercheurs publient leur étude dans Nature

L'équipe internationale dirigée par Natasha Hurley-Walker (Université Curtin/Centre international de recherche en radioastronomie (ICRAR)) a donc découvert ce qu'on peut qualifier de nouveau type d'objet stellaire, un objet qui remet en question notre compréhension de la physique des étoiles à neutrons. Il se pourrait que ce soit un magnétar, une étoile à neutrons fortement magnétisée, mais jusqu'à la découverte de janvier 2022, tous les magnétars connus libéraient de l'énergie à des intervalles allant de quelques secondes à quelques minutes. Si ce nouvel objet découvert, nommé GPM J1839−10 est bien un magnétar, ce serait le magnétar à la période la plus longue jamais détecté.  Hurley-Walker et son équipe ont découvert l'objet à l'aide du Murchison Widefield Array (MWA), un radiotélescope situé dans l'outback de l'Australie occidentale. GPM J1839−10 se trouve à 15 000 années-lumière de la Terre et ressemble à s'y méprendre à J1627-5235, le premier spécimen incompréhensible qui avait été trouvé en janvier 2022, un objet transitoire qui apparaissait et disparaissait par intermittence, émettant de puissants faisceaux d'ondes radio toutes les 18 minutes. Ici, c'est toutes les 21 minutes que GPM J1839−10 produit des ondes radio. Pour le débusquer, les chercheurs ont scanné le ciel austral entre juillet et septembre 2022. Si la période de GPM J1839−10 est assez similaire à celle de J1627-5235, en revanche la durée des impulsions radio peut être cette fois 5 fois plus longue, avec près de 5 minutes (elles varient entre 30 s et 300 secondes) et ont une sous-structure quasi-périodique. Les oscillations quasi-périodiques qui sont observées dans de nombreuses impulsions rappellent la microstructure d'impulsion d'un pulsar, mais deux à trois ordres de grandeur plus grandes... 

D'autres télescopes ont ensuite été utilisés pour confirmer la découverte et en savoir plus sur les caractéristiques uniques de l'objet, on peut citer le radiotélescope MeerKAT en Afrique du Sud, les radiotélescopes australiens ASKAP, ATCA et Parkes, ou encore le télescope spatial XMM-Newton pour détecter des éruptions X associées. Comme le MWA et ASKAP, MeerKAT est un précurseur du futur réseau géant SKA (Square Kilometre Array). Et puis à partir des coordonnées et des caractéristiques de GPM J1839−10, l'équipe de Hurley-Walker a également recherché dans les archives des premiers radiotélescopes pour voir si un signal de longue durée n'avait pas été détecté mais non reconnu. Et il est apparu dans les archives du radiotélescope indien GMRT, et du Very Large Array (VLA) aux États-Unis qu'il y avait bien un signal à la position de GPM J1839−10, des données qui remontent à 1988, avant même que Jodie Foster ne mette ses écouteurs sur ses oreilles ! Personne n'avait remarqué ce signal, il est resté caché dans les données pendant 33 ans. Il n'avait pas été reconnu comme un signal de pulsar ou de magnétar parce que les astrophysiciens de l'époque (et même encore aujourd'hui) ne s'attendaient pas à trouver quelque chose comme ça.

L'activité de longue durée de GPM J1839–10 est extrêmement déroutante selon les chercheurs, parce que l'activité radio de son cousin J1627–5235 a été, elle, de courte durée, persistant pendant seulement trois mois en 8 ans d'observations, sans aucunes autres détections dans les données d'archives ou de surveillance récente. Cela avait conduit à l'hypothèse que l'émission radio aurait pu être alimentée par un réarrangement temporaire de ses champs magnétiques, précédé d'une explosion de haute énergie (mais non observée). GPM J1839–10 est actif depuis au moins trois décennies, bien qu'avec une fraction de silence de 50 à 70 %. Cette nouvelle source n'a ni une période suffisamment courte pour être explicable par une émission canonique de pulsar radio ni une fenêtre d'activité suffisamment courte pour que son émission radio ressemble à une explosion typique de magnétar.
Les magnétars ne produisent pas tous des ondes radio, ils sont plutôt détectés par leurs éruptions de rayons X. Pour les étoiles à neutrons, il existe une limite qu'on appelle la "ligne de mort", un seuil critique où le champ magnétique devient trop faible pour générer des émissions dans le domaine radio. GPM J1839−10, comme J1627-5235,  tourne beaucoup trop lentement pour produire des ondes radio. Il se trouve en dessous de la "ligne de mort". En supposant qu'il s'agisse d'un magnétar, il ne devrait pas être possible  pour cet objet de produire des ondes radio, or on en voit, et pas qu'un peu... Toutes les 21 minutes, il émet une impulsion radio de cinq minutes, et il le fait au moins depuis 33 ans.

Et lorsqu'ils ont observé GPM J1839−10 en rayons X avec XMM-Newton simultanément à l'observation radio de ASKAP,  Hurley-Walker et ses collaborateurs n'ont pas détecté d'émission de rayons X significative alors que deux impulsions radio très lumineuses étaient détectées. La limite de luminosité X dérivée est des ordres de grandeur inférieures à celles mesurées pour les sursauts de rayons X de type magnétar. Ces résultats excluent de fait une connexion directe entre ces sursauts radio et les événements de rayons X de type magnétar, comme ce qui avait été vu dans le cas de SGR 1935 + 2154, le magnétar galactique associé à un FRB répétitf. 
A noter que GPM J1839–10 a également été observé dans la bande infrarouge avec le spectromètre EMIR monté sur le Gran Telescopio Canarias de 10 m. Une source faible a été marginalement détectée, mais les données actuelles ne permettent pas de conclure avec certitude si la source est unique ou mixte, ou si elle est réellement associée à la source radio.

Alors, outre l'hypothèse étoile à neutrons (pulsar ou magnétar), il existe quelques alternatives encore moins convaincantes pour l'interprétation de cette source radio très atypique. Une naine blanche isolée fortement magnétique, avec son plus grand moment d'inertie, pourrait produire une émission radio de type pulsar. Mais, il peut apparaître surprenant qu'aucune naine blanche hautement magnétique à proximité n'ait été observée pour produire une telle émission. Le seul pulsar naine blanche connu émettant en radio, AR Sco, a une période de rotation de 2 min et une compagne binaire sur une orbite de 3,5 h. Et cette émission radio, en partie produite par l'interaction avec l'étoile compagne, est trois ordres de grandeur moins lumineuse que l'émission de GPM J1839–10...
Une proto-naine-blanche hautement magnétique (ou « sous-naine ») est une autre possibilité théorique car elle pourrait potentiellement être obscurcie par les résidus de son ancêtre géante rouge. Ce cas pourrait être testé avec d'autres observations optiques et infrarouges. Et puis des émissions radio à basse fréquence ont également été détectées à partir d'interactions étoile-exoplanète et dans des binaires naines brunes, avec des modulations sur les périodes de rotation et d'orbite. Mais une telle émission est nettement polarisée circulairement et qui plus est, est d'environ huit ordres de grandeur moins lumineuse que l'émission observée de GPM J1839–10... 
On le voit, cette découverte a des implications importantes pour notre compréhension de la physique des étoiles à neutrons et plus généralement du comportement des champs magnétiques dans des environnements extrêmes. Elle soulève de nouvelles questions sur la formation et l'évolution des magnétars et pourrait éclairer l'origine de phénomènes encore peu clairs comme les sursauts radio rapides (FRB). Natasha Hurley-Walker et son équipe prévoient d'ores et déjà de mener d'autres observations de GPM J1839−10 pour en savoir plus sur ses propriétés et son comportement. Ils espèrent également découvrir d'autres objets similaires pour déterminer s'il s'agit bien de magnétars à ultra-longue période, ou de quelque chose d'autre... 


Source

A long-period radio transient active for three decades
N. Hurley-Walker et al.
Nature volume 619 (19 july 2023)

Illustration

1. Vue d'artiste d'un magnétar (ICRAR)
2. Natasha Hurley-Walker

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