20/08/23

Neptune n'est plus la même depuis 2020


En utilisant les observations d'archives dans le proche infrarouge des observatoires Keck et Lick et du télescope spatial Hubble, une équipe d'astrophysiciens à étudié l'évolution de l'activité des nuages de Neptune entre 1994 et 2022. Ils trouvent une corrélation entre le nombre de nuages et l'irradiance UV du Soleil, prouvant que la périodicité de l'activité nuageuse de Neptune résulte de la production photochimique des nuages, déclenchée par les émissions solaires ultraviolettes. Ils montrent également que Neptune a changé d'apparence depuis 2020. L'étude est publiée dans Icarus.


L'évolution à long terme de l'atmosphère de Neptune a été explorée pour la première fois par des observations au sol. La première série d'observations a été publiée en 1986. A l'époque, les chercheurs avaient signalé l'existence d'une anti-corrélation de la luminosité avec le cycle d'activité solaire, ce qui, selon eux, pouvait résulter d'un obscurcissement d'aérosols sous l'effet de l'irradiation solaire UV. La planète a continué à être surveillée chaque année notamment à l'observatoire Lowell. Sromovsky et al. avaient suggéré en 1993 que la variabilité à long terme de la luminosité de Neptune était un phénomène saisonnier, retardé dans le temps de 30 ans environ. En utilisant l'ensemble de la base de données de 1950 à 2005, Lockwood, avec Thompson puis avec Jerzykiewicz ont ensuite montré en 2002 et en 2006 que la variabilité à long terme de la luminosité de Neptune ne pouvait pas être causée par des variations saisonnières, étant donné que les données antérieures de la période 1950-1966 étaient beaucoup plus faibles que celles attendues sur la base des variations saisonnières. Ils ont également remarqué que l'anti-corrélation apparente avec le cycle solaire s'était ''estompée'', c'est-à-dire qu'elle n'était plus présente dans les données les plus récentes. 

Les premières images à haute résolution de la géante de glace ont été prises au cours des six mois précédant son survol historique par la sonde Voyager 2 en 1989. Après Voyager 2, les progrès technologiques ont conduit au télescope spatial Hubble en 1990 et au développement de l'optique adaptative dans l'infrarouge pour les télescopes terrestres. L'apparence de Neptune dans les premières observations dans le proche infrarouge de la fin des années 1990 et du début des années 2000 était caractérisée par de larges bandes d'activité brillantes aux latitudes moyennes et un équateur sombre dépourvu de nuages, un changement spectaculaire par rapport à l'apparence de Neptune dans les images de Voyager 2. 


Lorsque l'optique adaptative a été mise en service sur le télescope Keck de 10 m en 1999, ses images et celles du HST ont montré un changement dans la distribution latitudinale des nuages de Neptune : les nuages étaient toujours confinés à des latitudes spécifiques, mais la gamme des latitudes s'est considérablement élargie, à la fois aux latitudes méridionales et septentrionales, avec de petites caractéristiques occasionnelles près de l'équateur. De plus, aucune tempête n'était visible au début des années 2000. Une combinaison d'observations de l'observatoire Lowell et du télescope Hubble a montré que l'éclat de Neptune a continué à augmenter progressivement jusqu'au solstice d'été austral neptunien en 2005 et est resté stable jusqu'à 2012, après quoi il a commencé à diminuer globalement. En 2015, une tempête brillante a été observée dans les données du télescope Keck dans le proche infrarouge, elle a été identifiée comme un nuage compagnon d'une nouvelle tache sombre sur la planète, tout à fait similaire aux nuages compagnons qui avaient été observés près de la "grande tache sombre" imagée par Voyager 2 et des taches sombres observées par la suite dans les années 1990. Puis une deuxième nouvelle tache sombre a été détectée au nord de Neptune en 2018. Cette tache était exceptionnellement grande et de longue durée. Mais aucune tache sombre n'a été détectée entre 1996 et 2015.

Les corrélations potentielles des variations de la luminosité de Neptune avec les saisons et le cycle d'activité solaire ont été explorées, mais jusqu'à présent aucune cause unique n'a pu être identifiée. Alors que les effets saisonniers sont très probablement importants pour les changements lents et progressifs, les variations séculaires de la luminosité doivent avoir une autre origine. Roman et al. avaient noté en 2022 l'existence d'une corrélation potentielle entre la quantité de nuages observés dans le proche infrarouge et le flux solaire, mais cette observation était basée sur des données limitées à moins de 2 cycles solaires...

À l'heure actuelle, nous disposons de près de 30 ans de données à haute résolution spatiale qui couvrent près de 3 cycles solaires, bien que correspondant seulement à environ 20% de l'orbite de Neptune (elle tourne autour du Soleil en 165 ans). Erandi Chavez (Harvard Smithonian Center for Astrophysics) et ses collaborateurs ont étudié les changements de la luminosité et de la couverture nuageuse de Neptune sur les 28 dernières années en utilisant les archives d'observations dans le proche infrarouge des observatoires Keck et Lick et du télescope spatial Hubble. Ils ont calculé la fraction du disque de Neptune qui contient des nuages, ainsi que la luminosité moyenne des nuages et du fond sans nuages sur le disque de la géante glacée. Leur analyse montre qu'il existe une activité nuageuse variable sur le long terme avec la présence de maxima de luminosité en 2002 et 2015, et des minima en 1996, 2007 et 2020, ce dernier minimum de 2020 étant particulièrement profond, avec une quasi absence d'activité nuageuse de Neptune. Ce dernier minimum est caractérisé par une perte quasi-totale de nuages aux latitudes moyennes mais toujours une activité continue au pôle Sud. 


Les astrophysiciens considèrent que le minimum d'activité nuageuse de 2019/2020 est une transition significative dans l'activité et la distribution des nuages de Neptune, car il a totalement changé son apparence. Les nuages des latitudes moyennes ont quasi disparus, alors qu'ils étaient toujours présents au cours des minimas d'activité nuageuse des décennies précédentes, laissant aujourd'hui un disque essentiellement vide, juste dominé par des brumes d'arrière-plan. Et la nouvelle apparence de Neptune a persisté dans les données les plus récentes. En 2022, les chercheurs n'ont pas observé de retour d'une activité nuageuse latitudinale moyenne comparable à celle des années précédentes.

Et Chavez et ses collaborateurs constatent que les variations périodiques de la luminosité moyenne du disque de Neptune dans le proche infrarouge sont dominées par une activité nuageuse discrète, plutôt que par des changements dans la brume de fond. D'après leur analyse, le schéma de la luminosité moyenne des nuages de Neptune montre une nette corrélation avec les émissions solaires dans l'ultraviolet, qui suivent le cycle d'activité solaire de 11 ans. Les données fournissent la preuve la plus solide à ce jour que la couverture nuageuse de Neptune semble corrélée avec le cycle solaire. Bien qu'ils aient documenté 2,5 cycles d'activité nuageuse dans cette étude, Chavez et ses collaborateurs estiment qu'il est nécessaire d'approfondir la relation entre les émissions UV solaires et les variations des nuages de Neptune. Cette relation est sans aucun doute complexe, selon eux. Par exemple, une augmentation de l'irradiance UV augmenterait la photolyse du méthane et, par conséquent, la production d'hydrocarbures et des brumes associées. Mais une augmentation du flux UV peut également conduire à un assombrissement par les aérosols, et donc à une diminution de la luminosité globale de Neptune. 

Par ailleurs, comme l'activité solaire est inversement corrélée à l'intensité des rayons cosmiques galactiques qui parviennent dans le système solaire (le flux de rayons cosmiques galactiques est maximal quand l'activité du Soleil est minimale et vice-versa), il peut être difficile de dissocier la nucléation qui est induite dans l'atmosphère de Neptune par les ions du rayonnement cosmique de l'assombrissement par les aérosols produits par les UV.
La température stratosphérique doit également influer sur le taux de production de la brume et cette température doit dépendre de la saison et du taux de production d'hydrocarbures stratosphériques (c'est-à-dire de la lumière solaire UV), tandis que les émissions d'hydrocarbures refroidissent l'atmosphère. On a donc un système complexe avec des mécanismes de rétroaction entre les processus photochimiques et radiatifs.

Enfin, les chercheurs notent que des processus internes à Neptune doivent aussi être à l'origine de "tempêtes" brillantes en infrarouge, qui sont probablement des processus convectifs, et qui pourraient être supprimés pendant des décennies avant de remonter à la surface, tandis que de nombreuses "tempêtes" apparaissent comme des nuages accompagnant les taches sombres qui sont des tourbillons situés plus profondément dans l'atmosphère.

Des observations continues de Neptune sont maintenant nécessaires pour observer si son nouveau visage apparu fin 2019/début 2020 va se poursuivre dans les prochaines années, avec le rapprochement du maximum d'activité du cycle solaire n°25, qui est prévu en 2026.

Source

Evolution of Neptune at near-infrared wavelengths from 1994 through 2022
Erandi Chavez et al.
Icarus vol 404 (9 june 2023)


Illustrations

1. Neptune imagée par Voyager 2 en aout 1989 (NASA/JPL Caltech)
2. Evolution de l'aspect de Neptune entre 1998 et 2022, imagée par Hubble et Keck (Chavez et al.)
3. Evolution de l'aspect de Neptune comparée à l'irradiation UV solaire depuis 1994 (NASA, ESA, Erandi Chavez (UC Berkeley), Imke de Pater (UC Berkeley))
4. Evolution de l'activité solaire depuis 1985 et comparaison avec les dates des minima et maxima de la couverture nuageuse de Neptune. 
5. Erandi Chavez (Smithonian Center for Astrophysics)

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