18/08/23

Des fusions de naines blanches pour expliquer les pulsars jeunes des amas globulaires


La détection de 4 pulsars apparemment jeunes dans 3 amas globulaires de la Voie Lactée est difficile à concilier avec les scénarios standards de formation d'étoiles à neutrons associés à l'évolution des étoiles massives. Une équipe d’astrophysiciens propose une voie de formation pour ces pulsars : la fusion d’étoiles naines blanches dans des amas dynamiquement anciens. De plus, ce type de processus pourrait aussi expliquer le FRB qui a été vu récemment dans l’amas globulaire de la galaxie M81. L’étude est publiée dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society Letters.

Les amas globulaires de la Voie Lactée sont connus pour abriter des populations de pulsars radio importantes. Il est en outre bien connu qu'un grand nombre d'étoiles à neutrons se forment très tôt après la naissance des étoiles massives (en moins de 50 Mégannées) dans un amas typique, par des supernovas standards par effondrement de cœur. Mais, dans les amas globulaires actuels qui ont plus de 10 Gigannées, ces pulsars formés au cours de l'évolution stellaire massive doivent s’être éteints depuis longtemps sous l'effet du rayonnement dipolaire magnétique, ce qui les rend aujourd’hui indétectables en tant que sources radio. Des processus supplémentaires sont donc nécessaires pour expliquer pourquoi on observe une pléthore de pulsars radio actuellement dans les vieux amas globulaires. L'un de ces processus est le scénario des binaires de faible masse à rayons X, dans lequel l'étoile à neutrons est "recyclée" grâce à l'accrétion de la matière d'une étoile compagne, et se retrouve réaccélérée jusqu’à des périodes de rotation de l'ordre de la milliseconde. Et la majorité des pulsars observés dans les amas globulaires sont effectivement des pulsars millisecondes et les processus par lesquels de tels systèmes peuvent se former dynamiquement dans un environnement stellaire dense ont été bien étudiés.

Ce scénario explique aussi la surabondance de sources de rayons X dans les amas globulaires par rapport au champ galactique. Mais il existe 4 pulsars qui ont été détectés dans des amas globulaires qui ne collent pas avec ce processus. PSR B1745−20 (dans NGC 6440), PSR J1823−3031B (dans NGC 6624), PSR J1823−3021C (dans NGC 6624 également) et PSR B1718−19 (dans NGC 6342) qui ont des périodes entre 288 ms et 1004 ms et des champs magnétiques compris entre 1,1 1011 et 1,3 1012 G. Ils sont en apparence jeunes (entre 10 millions et 200 millions d’années) mais avec des périodes de rotation relativement longues, trop longues pour le processus de recyclage binaire, et ils ont des champs magnétiques plus importants que ceux attendus dans un scénario de recyclage où l'accrétion est susceptible d' « atténuer » tout champ magnétique résiduel de l’étoile à neutrons. Kyle Kremer (Caltech) et ses collaborateurs ont cherché quelle pouvait être la voie de formation de ces 4 pulsars.

C’est sur la base des propriétés observées des naines blanches magnétiques, que les chercheurs ont pu déterminer que les étoiles à neutrons qui se forment par fusion de naines blanches naissent avec des périodes de rotation d'environ 10 à 100 ms et des champs magnétiques de 1011 à 1013 G. En fusionnant, deux étoiles naines blanches dont la somme des masses dépasse la limite de Chandrasekhar de 1,4 masses solaires, produiront une naine blanche supramassive qui s’effondrera très rapidement en une étoile à neutrons en rotation rapide. Une telle dynamique des naines blanches produisant des fusions est motivée par les populations de variables cataclysmiques qui sont observées dans les amas globulaires, et aussi par des simulations à N-corps de naines blanches dans les amas. Ces processus d’interactions conduisent naturellement à la fois à des effondrements gravitationnels induits par l'accrétion dans des systèmes binaires et à des fusions de naines blanches massives, suivies d’effondrements gravitationnels. Or, dans les amas globulaires anciens, on s’attend à trouver un grand nombre de naines blanches, qui, on le rappelle, est le destin ultime des étoiles de faible masse comme le Soleil. Et les naines blanches peuvent exister sous cette forme pendant des dizaines de milliards d’années…

Comme les étoiles à neutrons qui seraient nées de fusions de naines blanches ralentissent ensuite par rayonnement dipolaire magnétique (de type pulsar radio), elles reproduisent naturellement les quatre jeunes pulsars PSR B1745−20, PSR J1823−3031B, PSR J1823−3021C et PSR B1718−19 qui ont des périodes un peu plus grandes, entre 288 ms et 1004 ms et des champs magnétiques compris entre 1,1 1011 et 1,3 1012 G. D’autre part, Kremer et ses collaborateurs font le lien avec le sursaut radio rapide (FRB) répétitif qui a récemment été observé et localisé dans un vieil amas globulaire de la galaxie M81, et qui a ajouté une nouvelle pièce au puzzle des FRB. Le mécanisme populaire du magnétar issu d’une supernova à effondrement de cœur comme source de FRB est clairement incompatible avec ce FRB de M81. Tout magnétar formé par l'évolution stellaire massive dans un amas globulaire aurait été inactif depuis des milliards d'années à l'heure actuelle. Or, des études récentes de 2021 et 2022 (Kremer et al et Lu et al.) soutiennent que le FRB de M81 pourrait être alimenté par une étoile à neutrons née récemment de l'effondrement d'une naine blanche massive, un canal de formation similaire à celui par lequel les quatre jeunes pulsars ont pu se former, la fusion de deux étoiles naines blanches menant à une naine blanche trop massive pour rester stable, qui s’effondre rapidement en une étoile à neutrons.

Pour compléter le tableau, Kremer et ses collaborateurs indiquent que les simulations d'amas globulaires prédisent que les fusions de naines blanches se produisent plus fréquemment dans les amas les plus anciens du point de vue dynamique, des amas qui ont subi ou sont proches de subir un effondrement de leur noyau. Et il se trouve que les quatre jeunes pulsars PSR B1745−20, PSR J1823−3031B, PSR J1823−3021C et PSR B1718−19 se situent tous les quatre dans des amas globulaires de ce type.

De plus, sur les quatre jeunes pulsars, trois sont des objets isolés, sans compagne binaire, ce qui correspondrait bien à une formation par fusion de deux naines blanches. Ces trois objets isolés sont d’ailleurs tous observés bien à l'intérieur du rayon de demi-lumière de leur amas, ce qui est cohérent avec les attentes de la ségrégation de masse qui voit les étoiles les plus massives migrer vers le centre de l’amas. L'exception (il en faut toujours une) est le quatrième pulsar : PSR J1718-19, lui a à la fois une étoile compagne et montre un décalage relativement grand par rapport au centre de son amas (environ 6 pc). Les chercheurs expliquent cette binarité et ce décalage spatial par une rencontre avec un autre couple dans le passé, qui aurait produit un échange et qui aurait conduit à une grande impulsion de recul gravitationnel, amenant PSR J1718-19 là où il est observé aujourd’hui.

Le mystère de l’existence de pulsars jeunes à longue période dans les amas globulaires trouve donc une explication robuste en faisant intervenir des fusions de naines blanches, un processus qui doit être commun dans ces environnements stellaires très vieux et très denses. La cerise sur le gâteau de cette solution est qu’elle pourrait expliquer l’observation du sursaut radio rapide FRB 20200120E dans un amas globulaire de M81, et qui n’avait pas encore d’explication convaincante.

 

Source

Connecting the young pulsars in Milky Way globular clusters with white dwarf mergers and the M81 fast radio burst

Kyle Kremer et al.

Monthly Notices of the Royal Astronomical Society: Letters, Volume 525, Issue 1 (October 2023)

https://doi.org/10.1093/mnrasl/slad088

 


Illustrations


1. L'amas globulaire NGC 6624 (Space Telescope Science Institute (STScI/NASA), the Space Telescope European Coordinating Facility (ST-ECF/ESA) and the Canadian Astronomy Data Centre (CADC/NRC/CSA)) 

2. Kyle Kremer (Caltech)

3. Localisation de FRB 20200120E dans un amas globulaire de la galaxie M81 (Aladin/DSS/Pan-STARRS/Phil Plait)

Aucun commentaire :